" j’ai souvent fait les poubelles... "

Géraldine Geaugey, ancienne présidente d'une maison de quartier à Reims, a vécu dans la précarité pendant plusieurs années.
« Le plus difficile quand on est pauvre, c’est de réclamer… et de ne plus se sentir soi-même ».
Issue d’une famille aisée qui la maltraite, Géraldine a 18 ans lorsqu’elle quitte son domicile situé à Reims. En trois ans, elle dépense l’intégralité de l’héritage de sa mère décédée. Sans argent, sa situation se dégrade l’année de ses 21 ans. Elle arpente les rues le jour, loge à l’Armée du Salut le soir. « Chaque matin, il faut se déplacer avec toutes ses affaires, chercher un nouvel endroit où dormir, savoir comment manger. C’était épuisant ».
Ses journées, Géraldine les passe à devoir justifier sa précarité auprès des instances administratives. « En plus de cela, j’entendais parfois des assistantes sociales dire qu'on vit très bien du RSA. Mais on ne vit pas, on survit ». Elle poursuit : « Il faut avoir du courage pour pousser la porte des Restos du cœur ». Une épreuve quotidienne, difficile, mais nécessaire pour subvenir à ses besoins essentiels. Un rythme qui devient de plus en plus déshumanisant.
Vers une perte de dignité
A cette précarité financière, s’ajoute la précarité sociale, bien plus complexe. Chaque jour, elle s’éloigne de son ancien monde et doit faire face à l’exclusion : « L’impression la plus désagréable, c’est de se rendre compte que l’on vit dans un monde parallèle. Mais l'humain a besoin de s’accomplir à travers une place dans la société. On se sent bon en rien, une fois exclu ». Géraldine s’en persuade : elle ne vaut plus rien, ni par rapport aux autres, ni pour les autres.
Durant plusieurs années, elle rencontre d’autres personnes aux parcours de vie chaque fois différents. « Des gens qui ont vécu des épisodes dramatiques : la perte d'un emploi, un divorce, une addiction ; puis la dépression nerveuse ». Des blessures, des cassures qui, comme elle, les désolidarisent progressivement de la société.
On se sent bon en rien, une fois exclu.
Pour Géraldine, difficile parfois de garder espoir. Il lui arrive même de vouloir abandonner, mais le visage de son fils, qu’elle a eu à 24 ans, lui revient toujours à l’esprit. Une image qui devient son « moteur ». Alors elle se démène, elle veut y croire et avancer. « Mais on se heurte sans cesse à un système pervers. Les formations Pôle emploi par exemple, je ne pouvais pas en suivre certaines, car elles coutaient trop cher ».
On vous aide, mais l’effet rebond est terrible : on vous donne de quoi survivre, certes, mais jamais assez pour remonter.
Alors pour échapper à la solitude, elle rejoint la maison de quartier Watteau-Pays de France à Reims, en tant que bénévole. « Car par-delà mon manque d’argent, il fallait que je trouve une activité pour me raccrocher au train du quotidien ». Elle s'investit de plus en plus dans l’association, puis trouve du travail. "Ma plus grande fierté, c’est d’avoir pu payer une nourrice. Non seulement j’avais un job, mais en plus je créais un emploi". C’est le point de bascule, où elle remet un pied dans la vie. Elle se sent, enfin, utile. Plusieurs années après, on entend encore la joie dans sa voix.
Trouver un nouveau souffle
Depuis, Géraldine s’est mise au slam, une manière pour elle d’accoucher ses pensées et de verbaliser sa souffrance. « J’ai ressenti l’urgence d’écrire, comme un cri intérieur. C’était un moyen pour moi d’exorciser de vieux démons ». A travers ses écrits, elle espère que d’autres puissent s’identifier à son histoire. « J’ai souvent fait les poubelles, ramassé des mégots. Ce n’était pas glorieux, mais désormais j’en parle ouvertement afin de rendre leur dignité à ceux qui vivent la même chose ». Car, pour Géraldine, la difficulté des précaires, c’est aussi la parole : celle qu’ils ne se permettent pas d’exprimer.
Source : France 3 Grand Est
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